Le financement public des arts et de la culture au Canada

Mémoire du Mouvement pour les arts et les lettres

Le Mouvement pour les arts et les lettres

Le Mouvement pour les arts et les lettres représente quelque 10 000 artistes professionnels, artisans, écrivains et travailleurs culturels du Québec qui gagnent leur vie par la création, l’exécution et la diffusion d’œuvres en musique, danse, arts visuels, arts médiatiques, arts du cirque, littérature et métiers d’art. Le Mouvement est né en 1999 de la nécessité de préserver une vie artistique et culturelle riche et dynamique, ferment d’un mieux‐être économique et social. Le Mouvement milite en faveur d’un accroissement significatif du financement public des arts et de la culture au Québec et au Canada, afin d’atteindre un niveau qui correspond à la fois aux besoins et au défi d’une culture québécoise et canadienne dynamique dans le monde d’aujourd’hui.

Maintenir le cap sur la croissance du secteur culturel

La culture joue un rôle incontournable dans la prospérité économique du Canada, dans la qualité de vie des citoyens des villes et des régions, dans la constitution d’une identité québécoise et canadienne fortes et dans le rayonnement du Canada dans le monde.

Dans un contexte d’une économie mondiale basée sur les savoirs créatifs et à l’ère de l’économie numérique, le Canada se doit d’investir en force et stratégiquement dans le talent de ses artistes et travailleurs afin de créer des emplois du futur, durables et à valeur ajoutée. Ce faisant, il doit considérer comme étant indissociables les activités de recherche, de création, de production, de diffusion, de formation et d’éducation, de développement des marchés (local, national et international), ainsi que de promotion des arts et de la culture à l’échelle nationale et internationale.

Le Mouvement des arts et des lettres estime que le gouvernement canadien, dans le contexte de la relance économique et de la recherche de l’équilibre budgétaire pour les prochaines années, doit éviter de procéder à des coupes dans les budgets des arts et de la culture, en particulier dans le Conseil des Arts du Canada (CAC) et dans les programmes et fonds de Patrimoine Canada qui ont pour but ou pour effet de soutenir directement ou indirectement les artistes et les compagnies artistiques à créer, produire et diffuser les oeuvres.

Pour le M.A.L., il y a au moins trois raisons fondamentales de ne pas effectuer de coupes dans ces activités et d’y faire, à l’inverse, de nouveaux investissements stratégiques.

1.   Le Canada est en rattrapage

Des données sur l’ampleur des budgets consentis au développement des arts par d’autres pays comparables laissent croire que le Canada a encore un important rattrapage à faire avant d’atteindre les niveaux d’investissement public comparables à ces pays. Bien que ces données soient incomplètes, elles laissent fortement présager l’existence d’un retard à ce chapitre.

À titre d’exemple, le budget du Conseil des Arts du Canada (CAC) représente en 2011 moins de 5,40 $ per capita. La plupart des pays ayant des organismes poursuivant une mission similaire au CAC investissent un montant per capita nettement plus important, allant jusqu’à 25 $ per capita au Royaume‐Uni, 10 $ per capita en Norvège et 7 $ per capita en Australie et en Nouvelle‐Zeélande. Depuis plusieurs années, le consensus dans le secteur culturel au Canada fixe la cible à environ 300‐350 millions de dollars, soit environ 10 $per capita.

L’argument selon lequel chacun doit faire sa part dans la recherche de l’équilibre budgétaire à court terme doit donc être mis en perspective à partir de ces données. En corollaire, les coupes survenues dans certains autres pays depuis le début de la récession de 2008 ne peuvent constituer, dans ce contexte, un argument en faveur de coupes similaires au Canada.

2.   Les arts et la culture constituent un secteur économique crucial pour l’avenir économique du Canada

Déjà, les arts et la culture comptent pour plus de 46 milliards de dollars dans l’économie canadienne et donne de l’emploi à environ 640 000 personnes. Récemment, le ministre du Patrimoine, M. James Moore, soulignait que la culture est, au Canada, un secteur trois fois plus important que l’industrie de l’assurance et deux fois plus important que l’industrie forestière. Au total, le secteur culturel contribue (directement, indirectement et de façon induite) environ 84,6 milliards de dollars au produit national brut du Canada.

Or, la culture est non seulement un secteur majeur de l’économie du Canada, mais aussi un secteur d’avenir. Pour assurer une reprise économique solide au cours des prochaines années, il est stratégiquement important, pour ne pas dire capital, que le gouvernement fédéral, de même que les autres paliers de gouvernements au Canada, mettent l’accent sur l’investissement dans les secteurs présentant un fort potentiel de croissance.

Conformément à la théorie économique, le Canada, comme les autres pays industrialisés, se développe de plus en plus comme une économie du savoir, axée sur la créativité. Ainsi, les secteurs de l’économie créative connaissent une croissance plus rapide que les secteurs traditionnels. Les emplois y sont créés à un taux de croissance deux fois supérieur à celui de l’emploi en général. Puisque les arts et la culture font partie intégrante de l’économie créative, il faut éviter de compromettre la capacité du Canada à prendre ce virage. Dans la mesure du possible, les secteurs qui contribuent à l’économie créative devraient plutôt faire l’objet de nouveaux investissements stratégiques.

Qui plus est, en cette ère de l’économie numérique et mondialisée, la création de contenus par le Canada constitue un important défi à relever, autant que celui des infrastructures et des équipements. Les arts et la culture représentent un segment crucial de l’industrie du contenu et les artistes ainsi que les travailleurs et organismes culturels jouent un rôle majeur dans la création de contenus originaux. La capacité du Canada à capter sa part du marché mondial de l’art et la culture réside en bonne partie dans la vitalité de cette main d’œuvre et de ce secteur.

Enfin, on ne peut passer sous silence que plusieurs régions et villes du Canada croient fermement, désormais, que les arts et la culture sont essentiels à leur développement économique, le tourisme culturel étant une valeur d’attrait et une source de revenus de plus en plus importante.

3.   Le
financement public joue un rôle stratégique et unique dans l’essor du secteur culturel au Canada

L’une des particularités du secteur des arts et de la culture au Canada réside dans le rôle unique et stratégique que joue le financement public. Celui-ci n’agit pas à la marge mais en est un élément vital. Contrairement à ce qui se passe dans les autres secteurs de l’économie, les artistes et les organisations culturelles reçoivent leurs investissements décisifs du secteur public, à des moments cruciaux de leur démarche artistique.

Une grande partie du financement public fédéral est accordé aux artistes et aux organisations culturelles en fonction de critères d’excellence, à l’intérieur de systèmes fondés sur la reconnaissance des pairs ou de jurys indépendants, et dotés d’une gouvernance crédible. Sous cette forme, le financement public (souvent de quelques milliers de dollars seulement) devient la première forme de reconnaissance de l’excellence d’un travail artistique. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’œuvres nouvelles et innovatrices. L’intérêt des investisseurs privés et des consommateurs pour des œuvres ou des artistes se construit à partir de cette reconnaissance, rendue possible, à la base, par le financement public. En raison de cette h écologie i très particulière, les coupes dans le financement public des arts ont un effet direct sur la source même de la créativité et de l’innovation qui est à la base de toute l’industrie culturelle.

En outre, les travailleurs et organismes bénéficiant du soutien du financement public sont aussi les éléments les plus précaires de la chaîne de l’économie de la culture. Ils sont généralement d’une grande fragilité financière. Le nombre de travailleurs autonomes dans le secteur culturel est plus que deux fois plus important (26 l) que dans l’économie canadienne en général (12 l). Il va sans dire que des milliers d’entre eux seraient affectés directement et verraient leur démarche artistique et leur travail de recherche directement compromis par des coupes dans les programmes et fonds du secteur culturel.

Trois recommandations

Le M.A.L. formule en conséquence trois recommandations pour le budget fédéral 2012 :

1.   Le Mouvement recommande d’augmenter, au cours des trois prochaines années, le budget du Conseil des Arts du Canada à 300 millions de dollars

Le M.A.L. reconnaît l’expertise du Conseil des Arts du Canada, sa grande connaissance des réalités des artistes, ainsi que des conditions et des exigences du développement des arts au Canada. Une augmentation annuelle et récurrente sur les trois prochaines années des crédits alloués par le gouvernement fédéral pour atteindre 300 millions de dollars, lui permettra de réaliser pleinement sa mission. Parmi ses objectifs, retenons une plus grande ouverture des programmes de soutien aux jeunes artistes professionnels; la formation continue et le perfectionnement des artistes et des travailleurs culturels; la promotion de la contribution des arts à la société canadienne; la dissémination et la promotion des arts, synonymes de développement des auditoires et des marchés. Rappelons également qu’il doit pouvoir mieux soutenir les pratiques émergentes, dont les arts du cirque, les arts médiatiques et technologiques, augmenter son soutien à la consolidation des organismes soutenus au fonctionnement et accroître son aide dans des projets de recherche, de création, de production, de coproduction et de circulation.

2.   Le Mouvement recommande la création de programmes d’aide à la promotion internationale dotés d’un budget de 25 millions de dollars

Le gouvernement canadien doit intervenir et mettre en place des mesures permettant aux artistes et aux organismes de se maintenir en place et en force sur les marchés internationaux et d’en tirer le meilleur parti possible. Le Rapport issu de la Commission permanente de Patrimoine canadien, qui s’est tenue en mars 2009, fait état des conditions pour que les artistes et les organismes artistiques du Québec et du Canada se maintiennent en bonne position sur les marchés étrangers. La capacité de promouvoir de manière continue et efficiente les arts et la culture canadienne sur la scène internationale s’avère essentielle pour maintenir et accroître leur présence et leur succès sur ces marchés.

3.   Le Mouvement recommande enfin que, dans le cadre de la stratégie canadienne sur l’économie numérique, le gouvernement veille à ce que le Conseil des Arts du Canada et le ministre du Patrimoine canadien disposent des programmes et ressources nécessaires pour que les artistes et travailleurs culturels québécois et canadiens puissent relever avec succès le défi de l’économie numérique

Les artistes et travailleurs culturels québécois et canadiens font face au défi de l’économie numérique au même titre et sans doute de façon encore plus marquée que plusieurs autres secteurs de l’économie. La matière culturelle, pourrait-on dire, est en symbiose avec l’univers numérique et le rayonnement de la culture canadienne dans cet univers et constitue un grand défi pour le Canada. Les technologies numériques sont devenues omniprésentes dans le travail des artistes et des travailleurs culturels : en recherche, en création, en production, en diffusion, en formation et en éducation artistiques, en développement de marchés et en promotion des arts et de la culture à l’échelle nationale et internationale. Le rôle, tant du Conseil des Arts du Canada que de Patrimoine canadien dans leur soutien aux artistes et aux milieux culturels pour relever le défi de l’économie numérique, constitue une autre urgence stratégique pour le pays.

ANNEXE

Les associations membres du M.A.L.

Le Conseil québécois de la musique (CQM) est un organisme sans but lucratif qui regroupe les organismes et les individus professionnels œuvrant dans le domaine de la musique dite de concert. Ses membres, plus de 200, issus de la communauté musicale professionnelle du Québec, sont les principaux organismes de production — comme les orchestres symphoniques, les ensembles, les quatuors — les organismes de diffusion — tels les festivals et les salles de spectacles — les maisons d’enseignement et d’enregistrement ainsi que les interprètes, compositeurs, musicologues, réalisateurs et gestionnaires. Le CQM offre également à ses membres de nombreux avantages et services. Le programme Diapason pour le soutien à la gestion, la formation continue, la diffusion de calendriers de concerts, le développement d’ententes avec différents partenaires commerciaux, la publication d’un répertoire électronique de ses membres ainsi que de nombreuses activités de promotion comme Les Prix Opus, Adoptez un musicien! et, sur la scène internationale, Le Québec, une présence collective à Musicora.

Le Conseil des métiers d'art du Québec (CMAQ) regroupe près de 900 membres associés sur une base volontaire conformément au mandat qui lui est confié dans le cadre de la loi sur le statut de l'artiste. Le CMAQ a pour mandat de représenter et défendre les intérêts sociaux et moraux des artistes et artisans professionnels québécois en métiers d'art. En plus d’être le principal levier du rayonnement international du secteur, via la Galerie Créa, le CMAQ est propriétaire et gestionnaire de trois compagnies autonomes qui travaillent à la diffusion des produits métiers d’art. Il s’agit d’organismes sans but lucratif qui s’autofinancent entièrement, donc qui ne reçoivent aucune subvention, et dont tous les surplus sont réinvestis dans la diffusion. En plus d'offrir de multiples services à la communauté des artisans (formation, soutien à la carrière, informations, etc.), ses activités de diffusion au Québec et à l'étranger (salons, expositions, etc.) génèrent des ventes de plus de 10 millions de dollars annuellement.

Le Conseil québécois des arts médiatiques (CQAM) est le regroupement national qui représente les créateurs professionnels indépendants, les travailleurs culturels et les centres d’artistes (recherche, production, diffusion et distribution) se consacrant à la discipline des arts médiatiques qui comprend quatre pratiques : cinéma d'auteur, vidéo d'auteur, nouveaux médias et arts audio. Il a pour mandat de représenter les arts médiatiques auprès des gouvernements et des institutions de tous paliers afin d’améliorer les conditions de création et de vie de sa communauté, de soutenir le cheminement et le développement professionnels de ses artistes et travailleurs culturels et de promouvoir ici et au‐delà des frontières les activités et les œuvres de l'ensemble de ses membres. C'est au Québec que l'on retrouve la plus forte concentration de créateurs et d'organismes artistiques en arts médiatiques ainsi que le plus grand éventail d’œuvres réalisées chaque année dans tout le Canada. L'excellence et l'innovation des créateurs québécois dédiés aux arts médiatiques et le calibre de leurs œuvres sont reconnus mondialement.

Le Regroupement québécois de la danse (RQD) représente et défend les intérêts de près de 500 professionnels de la danse dont une soixantaine d’organisations (écoles professionnelles, diffuseurs spécialisés et organismes de services). Regroupant tous les secteurs de la pratique de la danse – formation, interprétation, recherche, création, production, diffusion –, le RQD profite de cette force unique de représentation pour mettre en œuvre des projets structurants pour l’ensemble de la discipline.

Le RQD est fondé sur la nécessité de doter le milieu professionnel de la danse d’une voix commune, au‐dessus de la mêlée et des intérêts de chacune de ses composantes. Ses actions s’articulent selon cinq domaines d’intervention : vie associative, concertation et mobilisation, représentation publique, valorisation de la discipline et consolidation organisationnelle. Parmi les services offerts : un programme de remboursement des classes d’entraînement, une panoplie d’activités de développement professionnel et un réseau dynamique de contacts, d’échanges et d’informations.

Le Regroupement des centres d'artistes autogérés du Québec (RCAAQ) rassemble 71 de ces organismes dans la plupart des régions du Québec qui œuvrent dans les secteurs des arts visuels et des arts médiatiques. Le RCAAQ dispense à ses membres des services de formation, de promotion et de représentation. Les centres d’artistes sont des lieux de création, de diffusion et de production, sans but lucratif, dirigés par des artistes, dont l’activité principale est de mettre à la disposition des artistes professionnels des espaces, des équipements, des services et des ressources spécialisées. Le RCAAQ est l’éditeur du Répertoire des centres d’artistes autogérés du Québec et du Canada.

En piste, Regroupement national des arts du cirque représente plus de 300 membres, organismes et professionnels œuvrant dans les arts du cirque. Depuis 1996, En Piste soutient le développement de son milieu en encourageant les initiatives de création, en multipliant les activités de représentation et de promotion des événements cirque, en offrant de la formation continue, en répondant aux demandeurs de performances artistiques chaque année et en soutenant l’accueil et la mise en réseau de près de 15 délégations culturelles venues de l’étranger. En Piste, le seul regroupement en arts du cirque au Canada, travaille à promouvoir les arts du cirque en créant un véritable réseau pancanadien spécialisé dans ce domaine.

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) regroupe près de 1400 écrivains qui ont publié au moins un livre : des poètes, des romanciers, des auteurs dramatiques, des auteurs pour jeune public, des essayistes, des auteurs d'ouvrages scientifiques et pratiques, des traducteurs. L’UNEQ travaille à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise et canadienne‐française, au Québec, au Canada et à l'étranger, de même qu'à la défense des droits socio‐économiques des écrivains. L’UNEQ agit aussi pour la reconnaissance du métier d'écrivain, pour la défense de ses droits moraux, juridiques et fiscaux.

Treize Conseils régionaux de la culture, (CRC) soit du Centre‐du‐Québec, de l’Estrie, de la Montérégie, du Saguenay‐Lac‐Saint‐Jean, de la Mauricie, de l’Outaouais, de Lanaudière, des Laurentides, du Bas‐Saint‐Laurent, de la Côte‐Nord, de l’Abitibi‐Témiscamingue, de la Gaspésie et des régions de Québec et de Chaudière‐Appalaches. Les conseils régionaux de la culture ont comme mission de base d’appuyer le développement des arts et de la culture sur leur territoire. Pour se faire, ils regroupent, concertent et représentent leurs membres. Ils assument une veille, défendent et font la promotion des arts et de la culture. Ils documentent les enjeux et les problématiques de leurs milieux respectifs, favorisent la circulation de l’information, la consultation, les échanges, la concertation et la mise en réseau. Ils contribuent à la reconnaissance publique des lieux des milieux et des intervenants de la culture et des communications.